mercredi 26 septembre 2012

A quoi servent (vraiment) les consultants ?



De nombreuses entreprises font appel à des consultants pour les aider à prendre des décisions stratégiques. Mais qu’en attendent-elles exactement ? Pourquoi n’hésitent-elles pas à leur verser des honoraires souvent considérables ? La réalité est souvent assez éloignée du discours officiel …

Le rôle « officiel » des consultants
Pourquoi les entreprises ont-elles recours aux consultants ? Diplômés des meilleures Ecoles de commerce ou d’ingénieur, ils auraient la « puissance de réflexion » nécessaire pour résoudre les problèmes complexes auxquels leurs clients doivent faire face. Comme ils travaillent pour de nombreux clients, ils seraient également capables de porter un regard extérieur sur ces problèmes. Dans certains cas, ils peuvent jouer le rôle « d’intérimaires de luxe », plus motivés et performants que les employés de leurs clients. Enfin, ils sont censés être des experts, possédant des informations précieuses pour leurs clients. Mais d’où proviennent ces informations ?

Une étude menée par Olivier Babeau apporte des éléments de réponse intéressants à cette question. L’étude se fonde sur cinquante entretiens menés auprès de consultants et de leurs clients. Elle suggère que ces informations proviennent avant tout des missions que les consultants ont réalisées pour d’autres clients. C’est loin d’être surprenant … mais cela suscite un certain nombre d’interrogations.

Leur rôle « officieux »
En théorie, les informations récoltées ou produites lors d’une mission pour un client sont censées ne pas être communiquées à ses concurrents. Le respect de la confidentialité est crucial. Comme le résume un consultant : « Si je dis aujourd’hui à un client ce que fait son concurrent, il va se dire que demain je peux faire la même chose chez ce concurrent. Et donc, je vais perdre toute crédibilité ». En pratique, cette règle est souvent transgressée. De nombreuses informations qui sont censées rester confidentielles sont divulguées. La transgression se fait souvent à l’aide allusions transparentes (comme « un groupe bancaire très important de la place de Paris (procède de telle manière) ») et par oral (pour ne pas laisser de traces …).

Cette transgression est rendue possible par le fait que la frontière entre les informations qui doivent rester chez le client et celles que les consultants peuvent diffuser est floue. Par conséquent, une grande partie de la valeur ajoutée des consultants provient de leur capacité à faire circuler des informations « liminales » (de liminis, en latin : le seuil). Ces informations sont plus sensibles que les information peu stratégiques (que les clients sont prêts à communiquer … mais qui sont déjà connues par leurs concurrents) mais moins sensibles que les informations très stratégiques (que les clients ne veulent absolument pas communiquer … mais qui intéresseraient beaucoup leurs concurrents).

Qu’en pensent leurs clients ?
Les entreprises qui font appel aux consultants ne sont pas naïves. Comme elles sont conscientes de ces risques, elles essaient généralement de ne pas communiquer d’informations très stratégiques à leurs consultants. D’après un manager : « On sait très bien qu’il y a un risque de fuite quand on traite avec un cabinet de conseil. Donc on ne va pas forcément divulguer des informations extrêmement sensibles. Il faut faire attention. » Pour un autre : « Je vais vous dire quelque chose d’assez clair : si on ne veut vraiment pas que l’information transpire, on ne prend pas de consultant. C’est très net. Cà, c’est très clair. »

En revanche, la rareté des clauses d’exclusivité suggère l’existence d’un consensus tacite entre les clients et les consultants. D’accord pour être « pillé » … mais sous réserve que les informations divulguées ne soient pas trop sensibles et que l’on bénéficie en retour d’informations intéressantes récoltées chez les concurrents. Le « benchmarking » est à ce prix !

jeudi 20 septembre 2012

Quelles sont les techniques qui permettent d’obtenir une promotion à coup sûr ?



    

Pour obtenir une promotion, il ne suffit pas d’être compétent. Etre bien vu par son patron joue également un rôle crucial. La recherche en management a identifié plusieurs techniques particulièrement efficaces pour cela …

Les techniques
Dans leur étude, Ithai Stern et James Westphal ont commencé par interroger 42 dirigeants d’entreprises américaines. Ces entretiens leur ont permis d’identifier sept techniques utiles pour se faire bien voir par son patron (de la plus simple à la plus subtile) :
  • lui faire un compliment en s’en excusant par avance (par exemple : « Je ne veux pas vous mettre mal à l’aise en vous disant cela mais vous être vraiment formidable ») ;
  • faire semblant de lui demander un conseil alors que l’objectif est de lui faire un compliment (par exemple : « Comment avez-vous réussi à boucler cette fusion aussi brillamment ? ») ;
  • commencer par lui résister avant de finir par se ranger à son avis (par exemple: « Au début, je n’étais pas tout à fait d’accord mais maintenant c’est très clair. Vous m’avez totalement convaincu. ») ;
  • se renseigner sur son avis pour pouvoir le reprendre à son compte. D’après un dirigeant : « Si vous êtes toujours d’accord avec votre patron, il aura l’impression que vous lui faites de la lèche … Mais si vous parvenez à connaître son opinion et à la formuler avant lui lorsque l’occasion se présente, ça sera beaucoup plus convaincant. ») ;
  • le complimenter auprès de ses amis en espérant qu’il l’apprendra. Selon un dirigeant : « Lorsque vous faites des compliments à quelqu’un, cela lui paraît souvent louche. Si vous le faites auprès de ses amis, il finira par l’apprendre et cela aura beaucoup plus d’impact. ») ;
  • lui montrer que l’on a les mêmes valeurs (politiques, religieuses …) que lui avant de lui faire un compliment ou de se ranger à son avis. D’après un dirigeant : « J’ai découvert qu’une bonne façon de débuter une conversation avec mon patron est de faire allusion à quelque chose qui est important pour moi et qui est aussi susceptible de l’être pour lui – parfois ce sont mes convictions religieuses, parfois mon engagement pour la sauvegarde de l’environnement, parfois ma famille … Il a alors plus tendance à me faire confiance.») ;
  • faire référence à des affiliations communes (diplôme de la même Ecole de commerce ou d’ingénieur …) avant de lui faire un compliment ou de se ranger à son avis. Selon un dirigeant : « Je commence souvent la conversation en mentionnant un groupe ou une organisation auquel nous appartenons tous les deux … Cela contribue à établir une relation de confiance. »)

Sont-elles vraiment efficaces ?
 Les deux chercheurs ont alors testé la relation entre l’utilisation de ces techniques et la probabilité d’obtenir une promotion. Les analyses statistiques ont été menées sur un échantillon de près de 2.000 managers … et les résultats sont spectaculaires. Ils indiquent que l’utilisation des techniques les plus sophistiquées permet d’améliorer très sensiblement la probabilité d’être nommé au comité de direction de son entreprise. Par exemple, elle augmente de 68% si l’on fait deux compliments de plus à son PDG par l’intermédiaire de ses amis. Elle augmente de 71% si l’on fait deux références de plus à des affiliations communes. En revanche, l’utilisation des techniques de base (comme répéter en permanence à son PDG qu’il est génial …) est à éviter. En effet, elle a plutôt tendance à réduire la probabilité d’être promu !

Qui les utilise ?
Pour terminer, les deux chercheurs ont cherché à savoir qui utilise les techniques les plus sophistiquées. Les résultats de l’étude sont très clairs. Il s’agit avant tout des managers qui ont une formation en science politique, en droit et dans le domaine des ventes. Les ingénieurs et les managers qui ont une formation dans le domaine de la finance sont beaucoup moins doués. Ils ont tendance à utiliser les techniques de base, beaucoup moins efficaces. L’étude montre également que l’origine sociale n’est pas neutre. Les managers qui viennent d’un milieu aisé maîtrisent beaucoup mieux les techniques les plus sophistiquées que les managers issus d’un milieu plus modeste.

En bref, on a enfin la preuve scientifique que se faire bien voir par son patron en lui faisant des compliments et en lui montrant qu’on est d’accord avec lui est un atout indéniable pour réussir en entreprise !

lundi 10 septembre 2012

A-t-on vraiment intérêt à prendre exemple sur les meilleurs ?



 

Les entreprises ont souvent tendance à chercher l’inspiration chez leurs concurrents les plus performants. A priori, rien de plus naturel. On a sans doute beaucoup à apprendre des meilleurs. Pourtant cette démarche est souvent inutile. Dans certains cas, elle est même dangereuse ...

Une démarche souvent vaine … 
Un exemple suffit pour se convaincre de l’inutilité de prendre exemple sur les meilleurs. Lorsque l’on étudie les entrepreneurs qui ont connu les plus grands succès, on constate généralement deux choses :
  • ils ne se sont jamais découragés, même lorsqu’ils ont dû faire face à l’adversité ; 
  • ils sont toujours parvenus à persuader les autres de les suivre.

On pourrait alors être tenté de conclure que la persévérance et la capacité de conviction sont les clés du succès. Mais est-ce réellement le cas ? Pas forcément, car ces deux « qualités » sont également celles des entrepreneurs qui ont essuyé les échecs les plus retentissants … Alors que leur projet n’était pas viable, ils se sont acharné et ont entraîné tous les autres dans leur chute.

On pense souvent que l’on peut faire émerger les « recettes » du succès en étudiant des succès. De nombreux « best sellers » de management sont fondés sur ce principe. Ils commencent par sélectionner un échantillon d’entreprises performantes. Ils les analysent et identifient leurs points communs. Ils érigent alors ces points communs en « recettes » du succès. Comme l'ont montré les recherches menées par Jerker Denrell, cette technique ne fonctionne malheureusement pas. Si on étudie uniquement des succès, on ne pourra pas montrer ce qui les distingue des échecs (à part leur succès …). Il faut donc impérativement prendre en compte des succès et des échecs. Cette démarche est beaucoup plus difficile à mettre en œuvre car on dispose de plus d’information sur les entreprises florissantes que sur celles qui ont fait faillite après quelques années d’existence.

… et parfois risquée 
Prendre exemple sur les meilleurs est donc souvent inutile. Plus grave, cette démarche peut être dangereuse. Pour s’en rendre compte, on peut considérer la figure ci-dessous. Elle montre la relation entre les risques associés à la stratégie d’une entreprise et sa performance.



Lorsqu’une entreprise met en œuvre une stratégie peu ambitieuse (et donc peu risquée), son niveau de performance est généralement proche de la moyenne. En revanche, la mise en œuvre d’une stratégie plus ambitieuse donne lieu à des résultats plus contrastés. Dans certains cas, la prise de risque a payé et les résultats sont très bons. Dans d’autres cas, ils sont catastrophiques. En règle générale, le niveau de performance a même plutôt tendance à baisser.

Si l’on considère uniquement les entreprises performantes, on obtient la figure ci-dessous.



On peut alors être tenté de reproduire une stratégie qui a permis à certaines entreprises de réussir … mais qui a également mené de nombreuses autres à leur perte.

Focalisation ou diversification ?

Prenons un exemple. Dans un ouvrage à succès, le consultant Chris Zook a identifié 1.854 entreprises performantes. Il a alors constaté que 78% d’entre elles avaient adopté une stratégie de focalisation. Sa conclusion : il vaut mieux opter pour la focalisation que la diversification. Peut-on vraiment faire confiance à cette analyse ? Non, car la focalisation est plus risquée que la diversification. Si elle génère les gains les plus élevés (lorsque l’entreprise a choisi le « bon » domaine d’activité), elle peut également provoquer les pertes les plus importantes (lorsque l’entreprise a choisi un « mauvais » domaine d’activité). On retrouve donc aussi bien les entreprises les plus performantes que les entreprises les moins performantes parmi celles qui ont fait le choix de la focalisation.

Pour déterminer le lien entre le degré de diversification et le niveau de performance, on ne peut pas se contenter de mesurer le degré de diversification des entreprises performantes. Il faudrait prendre en compte toutes les entreprises et tester la relation entre leur degré de diversification et le niveau de performance. Les résultats des études utilisant cette démarche (scientifique !) sont sensiblement différents de ceux de Chris Zook. Ils indiquent que les entreprises modérément diversifiées sont plus performantes que les entreprises faiblement (et fortement) diversifiées.

En bref, attention au « benchmarking ». Imiter les meilleurs ne mène pas obligatoirement au succès …