vendredi 30 novembre 2012

Qu’apportent les techniques de management à la mode aux entreprises qui les adoptent (et à leurs dirigeants) ?



De nombreuses entreprises adoptent les techniques de management à la mode. En bénéficient-elles vraiment ? Si oui, de quelle manière ?

Les entreprises sont constamment sollicitées pour adopter de nouvelles techniques de management. Au fil des années, on a vu l’émergence d’outils tels que le management par objectifs, l’organisation matricielle, le downsizing, le reengineering, le management de la qualité, le management des équipes et la responsabilisation des employés … Barry Staw et Lisa Epstein ont étudié l’impact de plusieurs de ces techniques de management sur les cent plus grandes entreprises américaines. Ils se sont focalisés sur trois outils particulièrement à la mode au moment de leur étude : le management de la qualité (qualité totale, assurance qualité et cercles de qualité), la gestion des équipes (équipes autonomes et autogérées) et la responsabilisation des employés (« empowerment »). Leurs résultats sont pour le moins inattendus …

Quelle est l’influence réelle des techniques de management à la mode ?

A première vue, on peut penser que les entreprises adoptent les techniques de management à la mode pour améliorer leur performance. Si c’est le cas, elles risquent d’être déçues. En effet, les auteurs de l’étude n’ont observé aucun lien entre ces techniques et la performance des entreprises qui les ont mises en oeuvre. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé. Ils ont utilisé toutes les mesures de performance (ROS, ROA, ROE …) et tous les horizons temporels (un an, trois ans, cinq ans …) possibles …

Faut-il alors renoncer aux techniques de management à la mode ? Pas forcément. Les résultats de l’étude montrent que les entreprises qui adoptent ces techniques améliorent sensiblement leur réputation (mesurée à l’aide d’un indicateur publié dans le magazine Fortune). Plus précisément, elles sont perçues comme plus innovantes et mieux gérées que leurs concurrents qui n’ont pas fait l’effort d’y recourir. Ce résultat est un peu paradoxal lorsque l’on songe que ces techniques ne fonctionnent pas vraiment …

Enfin, le résultat le plus intéressant de cette étude : les dirigeants des entreprises qui adoptent les techniques de management à la mode voient leur rémunération augmenter de manière très significative. On peut observer cet effet aussi bien sur le salaire fixe que sur le bonus du PDG.

Quelles implications pour les entreprises ?

La principale leçon que l’on peut tirer de cette étude est que l’adoption des techniques de management à la mode ne permet pas nécessairement d’améliorer la performance. Dans ce cas, pourquoi les entreprises ont-elles recours à ces techniques ? Une première interprétation est qu’elles sont naïves (ou manipulées par des consultants peu scrupuleux). C’est peu probable (a priori …). Une seconde interprétation est qu’elles ont conscience que la mise en oeuvre des techniques de management à la mode ne leur permettra pas d’améliorer leur performance … mais qu’elles y trouvent un autre intérêt. Comme on l’a vu, être associée à ces techniques permet à une entreprise d’apparaître plus innovante et mieux gérée.

Les implications sont limpides. Les entreprises qui décident d’adopter les techniques de management à la mode doivent impérativement communiquer sur le sujet. En revanche, elles n’ont pas besoin de beaucoup s’investir dans leur mise en œuvre … Enfin, il ne faut pas négliger le rôle des dirigeants. Même si les techniques de management à la mode ne permettent pas d’améliorer la performance d’une entreprise, ils y trouvent largement leur compte. Un dirigeant qui utilise les techniques de management les plus à la pointe impressionne son Conseil d’Administration … ce qui se matérialise par une augmentation substantielle de sa rémunération.

vendredi 23 novembre 2012

Pourquoi n’y a-t-il (malheureusement …) pas de recette du succès ?



De nombreux ouvrages de management font croire à leurs lecteurs qu’il existe des recettes du succès. Malheureusement, les résultats sont souvent décevants. Pourquoi ?

 De la performance à l’excellence
De nombreux « best sellers » du management se targuent d’avoir identifié les recettes du succès. Parmi eux, De la performance à l’excellence (2001) de Jim Collins tient une place à part. Depuis sa sortie, cet ouvrage s’est vendu à 3 millions d’exemplaires. Il a été traduit en 35 langues. D’après le Financial Times, il fait partie des cinq meilleurs ouvrages de management de l’histoire.

De la performance à l’excellence trouve son origine dans la remarque d’un directeur associé de McKinsey : « Vous savez, Jim, nous aimons bien votre ouvrage précédent. Vous avez fait un très bon travail de recherche et d’écriture. Malheureusement, c’est inutile. Les sociétés que vous avez étudiées ont presque toutes été toujours exceptionnelles. Elles n’ont jamais eu à se transformer radicalement. Quelle utilité pour la vaste majorité des entreprises, qui réalisent qu’elles sont tout juste moyennes, et pas exceptionnelles ? » Comment une entreprise moyenne peut-elle devenir exceptionnelle ? Jim Collins et une équipe de 21 personnes vont passer cinq ans pour essayer de répondre à cette question.

A partir d’un échantillon de 1.435 entreprises, ils ont commencé par identifier 11 entreprises qui ont connu 15 années de performance boursière exceptionnelle (au moins trois fois supérieure à la moyenne du marché) après avoir connu 15 années de performance boursière moyenne. Ils ont alors comparé ces 11 entreprises : Abbott Laboratories, Circuit City, Fannie Mae, Gillette, Kimberly-Clark, Kroger, Nucor, Philip Morris, Pitney Bowes, Walgreens et Wells Fargo) à 11 entreprises similaires à l’origine mais restées moyennes. Au total, ils ont lu des dizaines de livres, plus de 6.000 articles et accumulé près de 400 mégaoctets de données pour réaliser leur étude.

Les recettes du succès selon Jim Collins
Au bout du compte, Jim Collins est parvenu à identifier plusieurs caractéristiques qui distinguent les entreprises qui sont passées « de la performance à l’excellence » des autres : (1) la présence d’un leader à la fois modeste et inflexible, (2) le choix des bonnes personnes pour le seconder, (3) la capacité à regarder la réalité en face, (4) un concept économique simple, (5) une action disciplinée et (6) une bonne utilisation de la technologie. Les trois premières caractéristiques sont surtout utiles au début (la phase de décollage) alors que les deux suivantes prennent tout leur sens par la suite (la phase de rupture). Enfin, la technologie joue le rôle d’accélérateur de croissance pendant les deux phases.

La question posée par Jim Collins est particulièrement intéressante. La recherche qu’il a menée semble également très bien menée. Malheureusement, ce n’est pas le cas … Comme l’ont bien montré Bruce Niendorf et Kristine Beck, Jim Collins et son équipe ont simplement constaté que onze entreprises « excellentes » présentaient six points communs à un moment donné. Cela ne prouve en aucun cas que l’utilisation de ces six recettes permet à une entreprise lambda de devenir « excellente ». En termes plus techniques, Jim Collins n’a pas montré l’existence d’une relation de causalité entre les principes et la performance. Pour cela, il aurait fallu formuler six hypothèses (par exemple : les entreprises qui ont la capacité à regarder la réalité en face deviennent plus performantes que les autres …) et les tester sur un échantillon d’entreprises suffisamment important.

Des recettes qui ne fonctionnent pas … parce qu’elles n’existent pas
De nombreux ouvrages de management cherchent à identifier les recettes du succès. Comme le suggère l’exemple de De la performance à l’excellence, il est rare qu’ils y parviennent. Ce n’est pas vraiment étonnant. En effet, de telles recettes n’existent pas. Dans une économie de marché, la performance est relative. Elle dépend non seulement de ce que fait une entreprise mais aussi de ce que font ses concurrents. Si une entreprise applique les mêmes recettes que ses concurrents, elle n’a aucune chance de les surpasser ... Pour espérer être meilleur que ses concurrents, il faut faire les choses différemment (et mieux) qu’eux. Cela nécessite de prendre des risques … et le succès n’est jamais garanti. La plupart des « best sellers » du management évitent soigneusement de rappeler ce principe de base. Ils préfèrent raconter de belles histoires qui semblent crédibles … mais qui ne le sont pas quand on creuse un peu.

jeudi 15 novembre 2012

Le célèbre modèle SWOT est-il biaisé ?



Le modèle SWOT (Strengths Weaknesses Opportunities Threats) est utilisé dans de nombreuses entreprises. Une recherche récente montre qu’il comporte un biais fondamental.

Les deux recommandations du SWOT
Le modèle SWOT (Strengths Weaknesses Opportunities Threats) suggère que la stratégie est le résultat de la confrontation des forces et faiblesses d’une entreprise (Strengths and Weaknesses) aux opportunités et menaces de son environnement (Opportunities and Threats). Il est particulièrement apprécié par les managers. Il sous-tend également la plupart des manuels de stratégie.

Comment une entreprise peut-elle maximiser sa performance ? Deux recommandations peuvent être déduites du modèle SWOT. La première recommandation est fondé sur l’analyse de l’environnement (analyse externe). Elle suggère de choisir un secteur d’activité attractif. Si de nombreux facteurs déterminent l’attractivité d’un secteur, les secteurs les plus rentables sont souvent ceux dans lesquels l’intensité de la concurrence est limitée. Le modèle recommande donc d’opter en priorité pour les secteurs qui se caractérisent par une faible intensité concurrentielle. La seconde recommandation est fondée sur l’analyse de l’entreprise (analyse interne). Le modèle conseille de tout faire pour développer un avantage concurrentiel. Il sera alors possible de dominer ses concurrents

Des recommandations contradictoires …
En bref, la rentabilité d’une entreprise dépend à la fois de l’attractivité de son secteur d’activité et de sa capacité à développer un avantage concurrentiel à l’intérieur de ce secteur. D’après Michael Porter, l’un des plus grands « gourous » de la stratégie : « La structure du secteur détermine la rentabilité moyenne du secteur … L’avantage concurrentiel détermine si la rentabilité est supérieure ou inférieure à celle de la moyenne du secteur. » La plupart des gens en déduisent alors que le nec plus ultra de la stratégie est de choisir un secteur d’activité attractif et d’y développer un avantage concurrentiel. Malheureusement, ce raisonnement est faux …

Comme le montre une étude récente de Richard Makadok, les deux recommandations du modèle SWOT ne sont pas complémentaires. Elles sont contradictoires ! D’un côté, recommander aux managers de choisir un secteur d’activité attractif revient implicitement à choisir un secteur d’activité dans lequel il est possible de s’entendre avec ses concurrents (et à le faire …). D’autre part, recommander aux managers de développer un avantage concurrentiel revient à leur demander de dominer leurs concurrents. Il n’est pas cohérent de conseiller en même temps à une entreprise de s’entendre avec ses concurrents et de tout faire pour les battre … Si l’attractivité d’un secteur d’activité repose sur la faiblesse de l’intensité concurrentielle, chercher à battre ses concurrents sera contre-productif. En effet, cette démarche belliqueuse augmentera l’intensité concurrentielle … ce qui finira par réduire la rentabilité du secteur.

Quelles implications pour les entreprises ?
Le fait que les deux recommandations du SWOT soient contradictoires peut paraître gênant. Ce n’est pas forcément le cas. En effet tout dépend de la capacité d’une entreprise à développer un avantage concurrentiel. Les entreprises qui n’ont pas d’avantage concurrentiel ont intérêt à opter pour un secteur d’activité où la concurrence est bridée … et à tout faire pour qu’elle le reste en s’entendant avec leurs concurrents (en utilisant un lobbying intensif auprès des pouvoirs publics voire en recourant à la collusion). En revanche, les entreprises qui ont un véritable avantage concurrentiel ont intérêt à opter pour un secteur d’activité où la concurrence n’est pas bridée. Elles pourront alors pleinement bénéficier de leur avantage concurrentiel en dominant leurs concurrents. Wal-Mart illustre bien cette démarche. Lorsque cette entreprise de distribution s’est implantée dans les petites villes américaines, elle n’a pas cherché à s’entendre avec les petits commerçants. Elle a tout fait pour les battre … et elle y est aisément parvenue !

lundi 5 novembre 2012

Les restructurations sont-elles bénéfiques pour les entreprises ?



Depuis le milieu des années 1980, de très nombreuses études ont été publiées sur le thème du « downsizing », les restructurations qui donnent également lieu à des suppressions d’emplois. Que nous apprennent-elles sur ce phénomène ?

Qui restructure et pourquoi ?
Dans leur méta-analyse, José Allouche, Patrice Laroche et Florent Noël ont synthétisé les résultats de 52 études menées sur le thème des restructurations aussi bien aux Etats-Unis qu’en France. Sans surprise, leurs résultats montrent que les entreprises qui restructurent sont avant tout des entreprises qui font face à des difficultés financières. Lorsqu’une entreprise traverse une mauvaise passe, l’un de ses premiers réflexes est de chercher à réduire ses coûts.

A première vue, les suppressions d’emplois semblent donc tout à fait indiquées pour cela. La logique est imparable : si une entreprise veut améliorer sa rentabilité de 100 millions d’Euros, il lui suffit de réduire sa masse salariale du même montant. En envoyant un signal de bonne gestion aux marchés, une entreprise qui restructure devrait même faire progresser son cours de bourse. Malheureusement, les résultats des différentes études sont loin de confirmer ces idées reçues ...

Restructurations et cours de bourse
Tout d’abord, les plans sociaux ne s’accompagnent pas systématiquement d’une hausse du cours de bourse. Au contraire, la plupart des études montrent que l’annonce d’une restructuration a un impact négatif sur le cours de bourse … Les marchés ne semblent pas croire aux vertus des restructurations. Lorsqu’une entreprise est en mauvaise santé, les marchés interprètent l’annonce d’une restructuration comme la confirmation de ses difficultés. Seules les entreprises en bonne santé ne sont pas systématiquement sanctionnées. Dans ce cas, les marchés ont plutôt tendance à interpréter les restructurations comme une démarche proactive visant à améliorer une performance déjà satisfaisante.

Restructurations et performance
Qu’en est-il de l’influence des restructurations sur la performance économique et financière des entreprises qui les mettent en œuvre ? La plupart des études montrent que les restructurations ont un effet négatif sur la performance à court terme. Ces résultats remettent en cause l’une des idées reçues les plus tenaces sur les restructurations : la possibilité d’améliorer rapidement la performance en diminuant la masse salariale. En fait, les restructurations induisent de nombreux coûts « cachés » (démotivation des « survivants », destruction des réseaux informels à l’intérieur de l’entreprise, diminution de la capacité d’innovation …). Dans la plupart des cas, ces coûts annihilent purement et simplement les économies générées par les suppressions d’emplois.

A plus long terme, les résultats sont plus nuancés. En fait, tout dépend du type de restructuration. Les réductions d’effectifs pures et simples ne permettent quasiment jamais d’améliorer la performance. En revanche, les restructurations qui se font dans une logique « industrielle » peuvent être bénéfiques pour les entreprises. Plusieurs études montrent que les opérations de restructuration induisant une réorganisation de l’entreprise, un recentrage sur le cœur de métier ou réduction du « slack » organisationnel permettent d’améliorer la performance à un horizon de deux ou trois ans minimum. Ce décalage s’explique par le fait que les coûts « cachés » évoqués plus haut doivent d’abord être absorbés.

En bref, les restructurations ne permettent que rarement de régler des problèmes à court terme. Elles peuvent être bénéfiques mais uniquement à moyen ou long terme et si elles sont menées dans une logique à la fois stratégique et « industrielle ».