jeudi 20 décembre 2012

Les consultants créent-ils de la valeur pour leurs clients ?



Le secteur du conseil en management a connu une très forte croissance au cours des trente dernières années. Entre 1980 et 2005, son chiffre d’affaires serait passé de 3 à 150 milliards de dollars ! Paradoxalement, l’influence des consultants sur la capitalisation boursière de leurs clients a été peu étudiée de manière rigoureuse (et indépendante …).

 Quelle est l’influence du recours à un cabinet de conseil sur la capitalisation boursière de leurs clients ?
Une étude menée par Donald Bergh et Patrick Gibbons permet d’apporter des éléments de réponse à cette question. Cette étude se fonde sur un échantillon de 118 entreprises américaines (cotées en bourse) qui ont annoncé faire appel à un cabinet de conseil en management. Bergh et Gibbons ont étudié l’impact de ces annonces sur leur capitalisation boursière. Les résultats sont plutôt encourageants (aussi bien pour les clients que pour les consultants …). En moyenne, le cours de bourse d’une entreprise qui annonce recourir à des consultants en management augmente de 1.34% entre le jour précédant l’annonce et le jour de l’annonce et de 1.39% entre le jour de l’annonce et le jour qui suit l’annonce. En bref, les consultants semblent bien créer de la valeur pour leurs clients. Encore plus fort, cette création de valeur se matérialise avant qu’ils ne se mettent réellement au travail !

Certains clients en bénéficient-ils plus que d’autres ?

De nos jours, la plupart des entreprises font appel à des cabinets de conseil en management. Elles pensent toutes pouvoir bénéficier de l’apport des consultants. Mais qu’en pensent les marchés ? Les résultats sont très instructifs. En effet, la réaction des marchés dépend de la situation financière du client. Plus elle est élevée, plus son cours de bourse augmente à l’annonce du recours à un cabinet de conseil. Comment interpréter ce résultat ? Lorsqu’une entreprise est en bonne santé, les marchés interprètent le recours à un cabinet de conseil comme un signal positif. L’entreprise a la volonté d’être encore plus performante. Sa bonne santé financière suggère également qu’elle a les ressources et les compétences nécessaires pour bénéficier pleinement de l’apport des consultants … Lorsqu’une entreprise est en mauvaise santé, les marchés interprètent le recours à un cabinet de conseil comme un signal négatif. L’entreprise est dans une mauvaise passe. Elle a besoin d’aide … et il n’est pas sûr que cette aide lui soit d’une grande utilité car elle manque cruellement de ressources et de compétences. Les résultats ne sont font pas attendre : l’entreprise est sanctionnée par les marchés … D’où le paradoxe suivant : alors que les entreprises en difficulté ont sans doute le plus besoin de l’aide des consultants, ce sont elles qui en bénéficient le moins (du moins en termes de création de valeur à court terme …).

Certains cabinets de conseil créent-ils plus de valeur que d’autres ?
Il existe une grande hétérogénéité au sein des cabinets de conseil en management. A priori, on pourrait penser que les marchés valoriseraient plus le recours à un cabinet prestigieux tel que McKinsey, le Boston Consulting Group, Bain ou Booz-Allen. Les résultats de l’étude ne permettent pas de valider cette hypothèse : les marchés réagissent exactement de la même manière quelle que soit le cabinet de conseil auquel une entreprise fait appel. De la même manière, le caractère stratégique ou opérationnel de la mission qui lui est confiée ne semble pas non plus avoir d’influence sur le cours de bourse.

En résumé, les marchés prennent bien en compte le « signal » que constitue l’annonce à un cabinet de conseil en management. Son impact est d’autant plus positif que la situation financière de l’entreprise concernée est bonne. En revanche, le prestige du cabinet et la teneur de la mission (stratégique ou opérationnelle) ne sont pas des « signaux » assez forts pour être pris en considération par les marchés. Reste à étudier si les consultants ont une influence aussi bénéfique sur le fonctionnement des entreprises (et leur performance financière) que sur leur capitalisation boursière …

vendredi 7 décembre 2012

Quels sont les points communs entre la stratégie d’entreprise et les sciences ?




A priori, rien ne semble plus éloigné des sciences « dures » (comme la physique ou la chimie) que la stratégie d’entreprise. Pourtant, les points communs sont plus nombreux qu’on le pense.

Richard Rumelt est professeur de stratégie à la UCLA (University of California at Los Angeles). Il y a quelques années, il a travaillé comme consultant pour Hughes Electronics, une entreprise américaine du secteur de l’armement. Sa mission consistait à développer une stratégie pour la branche « satellites de communication » de Hughes Electronics. Les dirigeants qui participaient à ses groupes de travail ressentirent rapidement une grande frustration. Un jour, l’un d’entre eux prit la parole. Le moins qu’on puisse dire est qu’il ne mâcha pas des mots : « Franchement, la stratégie, c’est n’importe quoi. Il n’y a pas de théorie. Ce qu’il faudrait, c’est savoir ce qui se passera si nous faisons ceci et ce qui se passera si nous faisons cela. Alors on pourra déterminer la meilleure stratégie. Mais ces concepts de stratégie ne nous aident pas du tout. Ils sont tellement creux … »

La stratégie comme une hypothèse

Après avoir réfléchi un (bon) moment, Richard Rumelt eut l’idée de faire un parallèle entre la stratégie et les sciences « dures » comme la physique ou la chimie. Qu’est-ce qu’un bon scientifique ? C’est quelqu’un qui explore de nouveaux territoires. S’il ne travaille pas sur quelque chose de nouveau, il est peu probable qu’il fasse de grandes découvertes. De la même manière, un bon stratège est à la recherche de nouvelles opportunités pour développer son entreprise. S’il se contente de répliquer la stratégie de ses concurrents, il n’a aucune chance de mettre le doigt sur une opportunité que ses concurrents n’avaient pas perçue.

Dans les sciences, on part des connaissances existantes pour développer une hypothèse. Cette hypothèse doit alors être testée à l’aide d’une expérience. C’est exactement la même chose dans le monde de l’entreprise. On utilise les connaissances dont on dispose sur sa propre entreprise et son secteur d’activité pour élaborer une stratégie. Il faut alors la tester … et voir ce qui se passe. Demander à un dirigeant de mettre en oeuvre une stratégie éprouvée revient à demander à un scientifique de tester une hypothèse qui a déjà été validée. L’intérêt est très limité. Le scientifique n’apprendra rien de nouveau et l’entreprise n’a aucune chance d’avoir un avantage concurrentiel.

L’exemple de Starbucks
Le cas de Starbuck permet d’illustrer ce raisonnement. Comme dans de nombreuses recherches scientifiques, tout est parti de la constatation d’une anomalie. Lors d’un séjour en Italie, Howard Schultz observe les cafés italiens et constate qu’ils sont très différents de ceux qui existent au Etats-Unis (le royaume du café insipide …). Il formule alors l’hypothèse suivante : moyennant certaines modifications, le concept de café « haut de gamme » à l’italienne peut être importé sur le marché américain. Il lui faudra des années pour peaufiner son approche. Il conservera finalement le positionnement « haut de gamme » … mais les boissons servies chez Starbucks ressemblent plus à du lait aromatisé au café (très apprécié par les consommateurs américains …) qu’à l’expresso italien qui l’avait inspiré. On est également beaucoup plus proche de la chaîne (un concept très prisé aux Etats-Unis …) que du café de quartier.

Une stratégie est donc une hypothèse sur « ce qui marchera » (« an hypothesis about what will work »). Créer une nouvelle stratégie génère un sentiment d’inconfort. C’est normal car on ne peut pas savoir si elle est réellement pertinente avant de l’avoir testée. Il ne faut donc pas hésiter à expérimenter. C’est le seul moyen d’accumuler des informations que l’on sera le seul à détenir. Ces informations pourront alors être utilisée pour peaufiner l’hypothèse initiale jusqu’à ce qu’elle soit réellement opérationnelle.