vendredi 25 octobre 2013

Comment les managers peuvent-ils s’inspirer des (meilleurs) médecins ?



Depuis une vingtaine d’année, la médecine par la preuve se répand dans le milieu médical. Les entreprises auraient tout intérêt à s’inspirer de cette démarche et à adopter le management par la preuve. 

Médecine et management par la preuve
La médecine par la preuve (« evidence-based medicine ») peut être définie comme « l’utilisation des résultats de la recherche la plus récente pour prendre des décisions cliniques ». Si l’idée selon laquelle les médecins doivent s’appuyer sur la recherche médicale pour traiter leurs patients n’est pas nouvelle, le mouvement moderne de la médecine par la preuve date du début des années 1990.

Jeffrey Pfeffer et Robert Sutton ont lancé le management par la preuve (« evidence-based management ») au milieu des années 2000. L’objectif est le même que pour la médecine par la preuve : utiliser les résultats de la recherche pour prendre de meilleures décisions en entreprise.

Aujourd’hui, les managers qui ont adopté cette approche restent rares. Heureusement, les conséquences sont généralement moins dramatiques que pour les médecins ! Comment l’ont bien formulé Pfeffer et Sutton : « Si les médecins pratiquaient la médecine comme de nombreuses entreprises pratiquent le management, il y aurait bien plus de malades et de morts, et beaucoup plus de médecins derrière les barreaux … »

Un exemple de management par la preuve
Le management par la preuve présente-t-il vraiment un intérêt pour les entreprises ? Une étude réalisée par des chercheurs de l’université du Missouri devrait suffire pour s’en convaincre. L’objectif de cette étude était simple : comparer les processus de prise de décision dans les réunions (d’une durée de 20 minutes maximum …) où les managers restent debout et dans celles où ils sont assis !

Les résultats sont intéressants. Ils indiquent que les réunions « debout » sont plus courtes de 25% en moyenne que les réunions « assises » … sans détérioration de la qualité des décisions qui y sont prises. Si cette étude peut paraître anecdotique, elle a des implications très concrètes. Pour une entreprise de 50.000 personnes, organiser une réunion « debout » à la place d’une réunion qui aurait duré 20 minutes « assise » permet de gagner près de 4.200 heures de travail (50.000 * 0,25 * 20 / 60) !

Bien évidemment, il existe des études sur des sujets nettement plus cruciaux pour les entreprises. Les bénéfices pour les entreprises qui font l’effort de les utiliser sont alors démultipliés …

Des réticences …
Si le management par la preuve est aussi bénéfique pour les entreprises, pourquoi reste-t-il aussi peu répandu ? Le parallèle avec les médecins qui n’ont pas encore opté pour la médecine par la preuve nous semble particulièrement intéressant. Comme eux, les managers :
  • préfèrent souvent s’appuyer sur ce qu’ils ont appris durant leurs années d’études plutôt que faire l’effort de se tenir au courant des recherches les plus récentes ;
  • se fient souvent plus volontiers à leur expérience personnelle qu’aux résultats des recherches les plus récentes ;
  • sont constamment incités à adopter les dernières techniques de management à la mode plutôt qu’à utiliser les résultats des recherches les plus récentes …

Aujourd’hui, le management par la preuve accuse un retard important par rapport à la médecine par la preuve. Alors que les médecins ont abandonné la pratique systématique des saignées dès le milieu du 19ème siècle, les entreprises ne semblent pas prêtes à renoncer au « downsizing » … une pratique dont la recherche enmanagement a pourtant montré l’inefficacité !

Remplacer les idées reçues par les résultats des meilleures recherches demande incontestablement des efforts … mais les résultats promettent d’être à la hauteur de ces efforts …

mercredi 16 octobre 2013

Pourquoi des croyances qui sont fausses peuvent-elles être confirmées par les faits ?



Même lorsque les croyances des dirigeants sont fausses, les faits peuvent finir par les confirmer. Une illustration de la « prophétie auto réalisatrice » chez les distributeurs de films américains …


Il semble bénéfique de toujours travailler avec les mêmes partenaires ...
Olav Sorenson et David Waguespack ont étudié les relations entre les sociétés de production et les distributeurs de films aux Etats-Unis. Une croyance particulièrement répandue chez les distributeurs de films américains est qu’ils ont intérêt à travailler régulièrement avec les mêmes sociétés de production.

L’analyse de plus de 5.000 films confirme que cette croyance est fondée : les films produits par les partenaires avec qui les distributeurs ont le plus l’habitude de travailler restent plus longtemps à l’écran et génèrent des recettes quatre fois supérieures à celles des films produits par leurs partenaires occasionnels. Comme les distributeurs touchent un pourcentage sur les entrées, tout semble donc aller pour le mieux dans le meilleur des mondes. Malheureusement, les choses sont un peu plus compliquées …

… mais ce n’est qu’une illusion
En effet, les résultats de l’étude montrent également que les films produits par les partenaires réguliers des distributeurs bénéficient d’un bien meilleur traitement que ceux des autres sociétés de production. Concrètement, les distributeurs leur attribuent les budgets de promotion les plus importants et les meilleures dates de sortie. Il n’est alors pas surprenant qu’ils fassent un nombre d’entrées plus élevé !

Après avoir neutralisé ces facteurs (à l’aide de techniques statistiques particulièrement sophistiquées …), Waguespack et Sorenson ont fait deux découvertes intéressantes :
  • si les films produits par les partenaires réguliers des distributeurs font plus d’entrées que ceux de leurs partenaires occasionnels, ils le doivent entièrement au fait qu’ils bénéficient des plus gros budgets de promotion et des meilleures dates de sortie ;
  • pire, lorsque les films produits par les partenaires réguliers des distributeurs ne bénéficient pas de tous ces avantages, ils font nettement moins d’entrées que les films produits par leurs partenaires occasionnels !

Des croyances confirmées par les faits … alors qu’elles sont fausses !
En résumé, les distributeurs ont tendance à penser que les films produits par leurs partenaires réguliers sont meilleurs que ceux des autres sociétés de production. Bien que cette croyance soit entièrement fausse, elle est confirmée par les faits … parce qu'ils font tout pour que ce soit le cas ! Le problème est que cela les empêche de faire ce qui serait plus bénéfique pour eux : redéployer une partie de leurs ressources sur les films des sociétés de production avec lesquelles ils ont moins l’habitude de travailler.

Le phénomène que nous venons de décrire est appelé « prophétie auto réalisatrice ». Comme on peut s’en douter, il n’est pas limité aux distributeurs de films américains. Même lorsque les croyances des dirigeants sont fausses, elles peuvent devenir vraies … parce qu’ils mettent tout en oeuvre pour que ce soit le cas. A priori, rien de très gênant … si ce n’est qu’ils y consacrent des ressources qui pourraient être beaucoup mieux utilisées.

samedi 5 octobre 2013

Pourquoi ne faut-il pas confondre vitesse et précipitation lorsque l’on développe de nouveaux produits ?



Avec l’exacerbation de la concurrence, il semble naturel de chercher à développer de nouveaux produits le plus rapidement possible. Pourtant, cette démarche n’est pas forcément à recommander …


Une entreprise a-t-elle intérêt à prendre son temps ou à développer ses nouveaux produits le plus rapidement possible ? A priori, la question ne devrait même pas se poser … Jiyao Chen, Richard Reilly et Gary Lynn ont étudié la relation entre la vitesse de développement (le temps qui s’est écoulé entre l’idée initiale et la mise sur le marché …) et la performance (en termes de chiffre d’affaires, part de marché, ROI et rentabilité …) de 471 nouveaux produits. Leurs résultats remettent en cause plusieurs idées reçues.

Une relation curvilinéaire …
L’étude montre qu’il existe bien une relation positive entre la vitesse de développement et la performance d’un nouveau produit … mais seulement jusqu’à un certain seuil. Au-delà de ce seuil, la relation devient négative. Comme expliquer ce phénomène ? Lorsque l’on développe un nouveau produit, une certaine rapidité est nécessaire pour prendre ses concurrents de vitesse. En revanche, une trop grande rapidité est néfaste car elle donne lieu à des « déséconomies de compression du temps ».

Que signifie ce terme ésotérique ? Simplement que la performance décline lorsque l’on cherche à faire un grand nombre de choses dans un laps de temps réduit (plutôt que de les étaler dans le temps). Développer un nouveau produit est une activité complexe. Lorsque les équipes qui en sont chargées travaillent trop rapidement, elles ont tendance à être débordées. Leur niveau de performance est alors inférieur à ce qu’il aurait été si elles avaient eu plus de temps pour travailler.

… qui dépend de la familiarité avec la technologie et les clients

L’étude prend également en compte la familiarité avec la technologie et les clients. Comme on pouvait un peu s’y attendre, moins une entreprise est familière avec la technologie nécessaire pour développer un nouveau produit, moins elle a intérêt à aller vite. En effet, elle est alors particulièrement sensible aux « déséconomies de compression du temps »

De manière plus surprenante, le phénomène inverse peut être observé pour la familiarité avec les clients. Une entreprise a surtout intérêt à ne pas aller trop vite lorsqu'elle est déjà bien implantée sur un marché. L’explication : elle risque alors de prendre ses clients « habituels » de vitesse ... en leur proposant des produits dont ils n’ont pas encore besoin !

Des implications plus générales

Pour combler son retard par rapport à ses concurrents, une entreprise peut être tentée de lancer deux fois plus de nouveaux produits, de s’implanter dans deux fois plus de nouveaux marchés, de recruter deux fois plus de nouveaux employés ou de réaliser deux fois plus de fusions qu’eux. Ce n’est pas forcément très judicieux … En effet, la vitesse à laquelle une entreprise peut croître est limitée. Au-delà d’un certain seuil, elle devient contre-productive. Plutôt que de chercher à aller le plus vite possible, il vaut mieux ralentir le rythme … et trouver le juste équilibre entre vitesse et précipitation.