vendredi 24 janvier 2014

La stratégie doit-elle venir du sommet ou de la base de l’entreprise ?



Dans quelle mesure une entreprise doit-elle opter pour une approche centralisée ou décentralisée de la stratégie ? Les deux approches peuvent-elles être réconciliées ?

Approche centralisée vs. approche décentralisée de la stratégie
On distingue souvent deux approches de la stratégie.

Dans l’approche centralisée (appelée également « planification stratégique »), la stratégie provient quasi-exclusivement du sommet de l’entreprise. Les dirigeants s’accordent sur une mission, formulent une vision et fixent des objectifs. Ils s’assurent également que ces objectifs seront atteints.

Dans l’approche décentralisée, la stratégie provient en grande partie de la base de l’entreprise.
Dans certains cas, les managers sont impliqués dans les décisions stratégiques (« participation aux décisions »). Ils influencent donc directement la stratégie. Dans d’autres cas, ils sont autorisés à prendre des initiatives sans en référer aux dirigeants (« distribution du pouvoir de décision ») … ce qui finit également par influencer la stratégie.

Quelle est la meilleure approche ?
Pour répondre à cette question, Torben Juul Andersen a étudié un échantillon de 185 entreprises industrielles américaines.

Il s’est d’abord intéressé aux effets indépendants de la planification stratégique, de la participation aux décisions et de la distribution du pouvoir de décision sur la performance. Les résultats montrent que la mise en œuvre de mécanismes de planification stratégique permet d’améliorer sensiblement la performance. En revanche, aucune des deux approches décentralisées n’a d’influence sur la performance.

Comme les trois approches ne sont pas exclusives, il s’est également intéressé à leur influence conjointe. Les résultats indiquent que la combinaison « distribution du pouvoir de décision » et « planification stratégique » améliore la performance. A l’inverse, la combinaison « participation aux décision » et « planification stratégique » diminue la performance …

En d’autres termes, les dirigeants doivent toujours fixer le cap. S’il est contre-productif d’impliquer les managers dans la formulation de la stratégie, il faut leur donner une grande autonomie par la suite.

L’influence de la vitesse d’évolution de l’environnement
L’étude s’intéresse également à l’influence conjointe des trois approches et de la vitesse d’évolution de l’environnement. Les résultats montrent que plus l’environnement évolue rapidement, plus il est bénéfique pour une entreprise de mettre en place des mécanismes de planification stratégique. Ce résultat n’est pas intuitif … On pense généralement que plus il y a d’incertitude, moins il est nécessaire de fixer un cap. Il semble cependant que ce soit le contraire !

Les résultats indiquent également que plus l’environnement évolue rapidement, plus il est intéressant de laisser de l’autonomie aux managers. L’explication est simple : ils sont mieux placés que les dirigeants pour percevoir les évolutions du marché …

En résumé, les stratégies des entreprises les plus performantes viennent du sommet et de la base des entreprises. Elles ont été formulées par les dirigeants … mais elles laissent suffisamment d’autonomie aux managers. Cette autonomie « contrainte » est d’autant plus bénéfique que l’environnement évolue rapidement.

vendredi 10 janvier 2014

Comment peut-on échouer alors que l’on a les compétences nécessaires pour réussir ? L’histoire de Polaroid



 

Plus que les compétences, ce sont souvent les croyances d’une entreprise qui permettent d’expliquer son succès (ou son échec …).


L’histoire de Polaroid

Après avoir connu un succès considérable dans la photographie à développement instantané, Polaroid a déposé le bilan au début des années 2000. On attribue souvent la faillite de Polaroid au fait qu’elle aurait « raté le virage du numérique ». Pourtant, ce n’est pas le cas …

Dès 1981, Polaroid investit massivement dans ce domaine. L’entreprise se focalise sur deux projets majeurs : Printer in the Field (un appareil numérique permettant une impression instantanée des photos) et Helios (un système de radiologie numérique destiné à remplacer les rayons X). A la fin des années 1980, Polaroid a développé de vraies compétences dans le numérique.

En 1992, l’entreprise abandonne le projet Printer in the Field. Ses ingénieurs mettent alors au point un appareil photo numérique plus performant et meilleur marché que ceux de la concurrence. Contre toute attente, la Direction Générale met son veto à sa commercialisation ! Elle valide Helios … mais c’est un échec cuisant.

Il faut attendre 1996 pour que Polaroid finisse par commercialiser un appareil photo numérique. Il y a alors plus de 40 concurrents sur le marché et le succès est très limité. A la fin des années 1990, Polaroid n’a plus aucun avantage concurrentiel dans le numérique. La décision est prise de sous-traiter la production d’appareils photo à un concurrent japonais …

L’influence des croyances sur les décisions des dirigeants

Que s’est-il passé ? Comment expliquer que Polaroid ait développé de fortes compétences dans le numérique … avant de finir par échouer ? Comme l’a montré Giovanni Gavetti, la réponse à cette question réside dans les deux croyances que les dirigeants de l’entreprise ont progressivement développées :
  • la croyance selon laquelle les avancées technologiques sont la clef du succès ;
  • la croyance selon laquelle on gagne de l’argent sur les consommables et non sur le matériel (le fameux modèle « lames de rasoir » …).
La première croyance explique pourquoi Polaroid a aussi rapidement investi dans le numérique. Elle a permis à l’entreprise de distancer ses concurrents dès le début des années 1980. La seconde croyance explique pourquoi Polaroid a concentré ses efforts sur les projets Printer In the Field et Helios. Elle explique également pourquoi les dirigeants de Polaroid ont autant tardé à lancer un appareil photo numérique dépourvu d’imprimante. Alors que l’impression instantanée (et donc la vente de consommables très lucratifs …) est au cœur des projets Printer In the Field et Helios, elle est absente des appareils photo numériques qui vont finir par s’imposer …

Les enseignements de l’histoire de Polaroid

En bref, l’échec de Polaroid s’explique essentiellement par le fait que ses dirigeants ont refusé d’abandonner le modèle « lames de rasoir ». Alors que ce modèle avait fait le succès de l’entreprise dans la photographie à développement instantané, il n’était plus adapté à la photographie numérique.

Paradoxalement, ce sont souvent les croyances qui ont contribué au succès d’une entreprise qui finissent par causer sa perte !