mercredi 23 décembre 2015

Pourquoi des innovations évidentes tardives : l'exemple de la valise à roulettes




L'innovation ne repose pas toujours sur de nouvelles technologies. Des technologies obsolètes peuvent suffire ...

En 1970, Bernard Sadow travaille dans une entreprise de bagagerie. Il rentre de ses vacances dans les Caraïbes avec une idée qui fera de lui le PDG de l’entreprise pour qui il travaille … En escale à Porto Rico avec sa femme, ses enfants et deux grosses valises, il voit un employé de l’aéroport pousser un énorme chariot à roulettes. Il se retourne alors vers sa femme et lui dit : « Une valise à roulettes. Voilà ce qu’il nous faudrait. » Deux ans plus tard, les grands magasins Macy’s commercialisent la première valise à roulettes …

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Avec ses quatre roues et sa lanière, la valise de Bernard Sadow n’était pas très pratique. Il faudra encore attendre quinze ans avant que quelqu’un pense à la basculer sur le côté et à lui ajouter un manche télescopique. Il s’agit d’un pilote de ligne appelé Robert Platt … qui démissionnera pour fonder l’entreprise qui fera sa fortune.

L’essor de l’aviation civile date des années 1950 … mais il a fallu attendre 1972 pour que l’on invente la valise à roulettes … et 1987 pour que la valise à roulettes devienne vraiment ergonomique. Pourquoi les entreprises de bagagerie ont-elles autant tardé ? On peut leur reprocher de ne pas avoir assez écouté leurs clients … mais ce n’est pas forcément le problème. Avant Bernard Sadow, aucun client ne s’était plaint que les valises n’avaient pas de roulettes !

Comme le suggère l’histoire de la valise à roulettes, les gens ne savent pas toujours ce dont ils ont (réellement …) besoin. Il ne sert donc à rien de leur demander. Il faut le découvrir … et pour cela il n’y a qu’une solution : se mettre à leur place. Bernard Sadow n’aurait certainement jamais eu l’idée de la valise à roulettes s’il n’avait pas été « dans la peau » d’un client lors de son escale à Porto Rico.

Surtout, l’innovation ne repose pas toujours sur des nouvelles technologies. Des technologies anciennes (voire totalement dépassées …) font souvent l’affaire. Selon toute vraisemblance, la roue aurait été inventée en 3.500 avant J.C.

Source : Miller, P., & Wedell-Wedellsborg, T. (2013). Innovation as usual: How to help your people bring great ideas to life. Harvard Business Review Press.

vendredi 18 décembre 2015

Qu’est-ce qu’une organisation « spaghetti » ?



Oticon et l’organisation « spaghetti »
Oticon est une entreprise danoise spécialisée dans les prothèses auditives. Au milieu des années 1980, les prothèses « dans l’oreille » remplacent progressivement les prothèses « derrière l’oreille ». Comme Oticon manque de compétences dans l’électronique, sa part de marché s’effondre …

Un nouveau PDG, Lars Kolind, est nommé en 1988. Il prend immédiatement la décision de remplacer la structure d’origine par une structure par projets. Dans la nouvelle organisation, tous les employés d’Oticon peuvent proposer des projets. Une fois qu’un projet a été validé par le « comité projets et produits », le chef de projet doit constituer une équipe pour le réaliser. La rémunération des membres de l’équipe est directement négociée avec le chef de projet.

La mise en place de l’organisation « spaghetti » (car elle est capable de changer rapidement tout en gardant une certaine cohérence …) s’accompagne également de mesures symboliques comme la réduction du nombre de niveaux hiérarchiques, la suppression des bureaux fixes et la prohibition de l’usage du papier.

Quels résultats ?
Comme l’a relaté Nicolai Foss, les résultats sont spectaculaires. L’organisation « spaghetti » a permis l’émergence de nombreux projets. Trois ans après sa mise en place, 50% du chiffre d’affaires provient de nouveaux produits. La rentabilité a également augmenté de manière spectaculaire.

Contre toute attente, l’organisation « spaghetti » est abandonnée en 1996. Elle est remplacée par une structure matricielle plus traditionnelle. L’argument avancé est qu’elle coûte trop cher à l’entreprise et que le portefeuille de projets manque de cohérence … Il semble également que les cadres dirigeants d’Oticon aient tout fait pour reprendre le pouvoir. L’organisation « spaghetti » avait remis en cause une grande partie de leurs prérogatives. Dans la plupart des entreprises, les cadres dirigeants sont à l’initiative des nouveaux projets. Ils n’émergent pas de « la base » …

En 1998, un peu plus de dix ans après son arrivée, Lars Kolind quitte l’entreprise.

mercredi 9 décembre 2015

Pourquoi les entreprises ont-elles intérêt à se restructurer en permanence ?



Les entreprises ont tendance à se restructurer lorsqu’il est déjà trop tard. Pourquoi ne pas se restructurer régulièrement 

Un dilemme classique
 De nombreuses entreprises utilisent une structure fonctionnelle (R&D, marketing, ventes …) ou une structure divisionnelle (produit, zone géographique …). Dans les deux cas, elles se heurtent au même problème : le raisonnement en « silo ». Lorsqu’elles optent pour une structure fonctionnelle, les employés ont tendance à tout appréhender par le prisme des fonctions. De même lorsqu’elles adoptent une structure divisionnelle. Que faire ?

Une solution serait d’utiliser une structure matricielle (qui combine la structure fonctionnelle et la structure divisionnelle). Malheureusement, cette structure présente deux inconvénients : elle est coûteuse et elle brouille les responsabilités. Ranjay Gulati et Phanish Puranam ont proposé une solution plus originale. Cette solution consiste à alterner périodiquement la structure fonctionnelle et la structure divisionnelle pour bénéficier du décalage entre l’organisation formelle et informelle de l’entreprise !

L’exemple de Cisco
Entre 1997 et 2001, Cisco utilisait une structure divisionnelle. Chacune des trois divisions (Internet, grandes entreprises et PME) disposait de ses propres équipes R&D, marketing et ventes. Cette structure présentait un avantage majeur pour Cisco : elle lui permettait d’être à l’écoute de ses clients.

Avec l’explosion de la bulle Internet, la demande en matière d’équipements télécoms décline fortement. En 2001, Cisco perd de l’argent. Ses dirigeants décident alors de remplacer la structure divisionnelle par une structure fonctionnelle. Les trois divisions sont rattachées à une fonction centralisée « marketing et ventes ». Toutes les équipes R&D sont rapatriées au sein d’une fonction R&D centralisée.

Le principal objectif de la nouvelle structure était de réduire les dépenses de R&D. Si cet objectif a été atteint, on pouvait craindre que les équipes R&D (autrefois dispersées dans les trois divisions …) perdent leur « orientation client » en intégrant la fonction R&D centralisée. Contre toute attente, cela ne s’est pas produit car les chercheurs ont continué à interagir (de manière informelle) avec les collègues du marketing ou des ventes qu’ils côtoyaient au sein des divisions.

Le décalage entre l’organisation formelle et informelle
 L’organisation informelle d’une entreprise change moins rapidement que son organisation formelle. Ce décalage est souvent perçu comme un inconvénient. On reproche alors aux employés de ne pas s’adapter assez rapidement lorsqu’une entreprise se restructure.

Ce décalage est peut-être plus un avantage qu’un inconvénient. En effet, il permet de bénéficier des avantages de la nouvelle structure … sans renoncer à ceux de l’ancienne ! Dans le cas de Cisco, les inconvénients de la structure fonctionnelle en matière « d’orientation client » ont été compensés par les mécanismes informels qui ont survécu au démantèlement de la structure divisionnelle !