lundi 30 janvier 2017

Pourquoi les experts les plus médiatiques sont-ils les moins compétents ?



Contrairement à ce que l'on pourrait penser, plus un expert est compétent, moins il a de chances d'être médiatique ...

Au milieu des années 1980, des journalistes du magazine anglais The Economist demandent à quatre ministres des finances, quatre dirigeants de grandes entreprises, quatre étudiants d’Oxford et quatre éboueurs londoniens de prédire l’évolution de plusieurs indicateurs économiques. Dix ans après, ils constatent que la plupart des prévisions sont fausses. Ils remarquent aussi que les éboueurs ont fait les meilleures prédictions (à égalité avec les dirigeants de grandes entreprises). Les ministres des finances sont arrivés bons derniers …

Au même moment, Philip Tetlock initie une étude beaucoup plus rigoureuse ... Il demande à 284 experts de faire des prédictions économiques et géopolitiques (comment le PIB des Etats-Unis évoluera-t-il ? Le Québec fera-t-il sécession du Canada ? Le régime de l’apartheid sera-t-il aboli en Afrique du Sud ? L’Union Soviétique implosera-t-elle ? …). Au total, Tetlock collecte 82.361 prédictions. Vingt ans après, il publie les résultats de son étude dans un ouvrage qui deviendra une référence. Comme les journalistes de The Economist, il constate que la plupart des prédictions réalisées par les experts sont fausses. Pire, elles ne sont pas meilleures lorsqu’elles portent sur leur domaine d’expertise plutôt que sur un sujet qu’ils connaissent moins. Tetlock remarque aussi que le niveau d’études et l’expérience des experts n’ont aucun impact sur la qualité de leurs prédictions. Une seule variable influence la qualité des prédictions réalisées par les experts : leur exposition médiatique. Plus un expert est médiatique, moins ses analyses sont fiables !

A première vue, ce résultat peut sembler surprenant. La compétence ne devrait-elle pas être un prérequis pour être invité à s’exprimer dans les médias ? Pour expliquer le paradoxe selon lequel les experts les plus médiatiques sont les moins compétents, Tetlock reprend la distinction classique entre les hérissons et les renards. Les hérissons ont une idée à laquelle ils croient dur comme fer. Comme ils utilisent une seule grille de lecture, leurs analyses sont très tranchées … mais pas forcément fiables. Les renards sont moins dogmatiques. Ils utilisent plusieurs grilles de lecture et leur pensée est en perpétuelle évolution. Cela leur permet de réaliser des analyses plus fiables que celles des hérissons … mais parfois trop subtiles pour marquer les esprits.

Les chaines d’information en continu ont particulièrement bien compris l’impact médiatique des renards. Pour faire de l’audience, mieux vaut inviter un hérisson… ou deux hérissons avec des points de vue opposés. Même si leurs analyses sont moins rigoureuses que celles des renards, l’ambiance sur le plateau sera beaucoup plus électrique … et l’audience sera au rendez-vous !

Source : P. Tetlock (2005), Expert Political Judgment: How Good Is It? How Can We Know?, Princeton University Press.

lundi 16 janvier 2017

Comment la finance influence les décisions des dirigeants




Dans les entreprises, les décisions sont-elles prises par les dirigeants ou par les marchés financiers ? 

Les dépenses de R&D et de marketing ont une influence considérable sur la performance des entreprises. La décision d’investir (ou de ne pas investir …) dans la R&D et le marketing devrait donc être la prérogative des dirigeants. Mais est-ce réellement le cas ?

Pour le savoir, Anindita Chakravarty et Rajdeep Grewal ont étudié 141 entreprises américaines sur une période de qunize ans. Ils se sont notamment intéressés aux entreprises dont le cours de bourse avait récemment augmenté. Comment les entreprises réagissent-elles lorsque les attentes des marchés deviennent de plus en plus fortes ?

Les résultats de l’étude sont très clairs. Pour ne pas décevoir les marchés, les entreprises réduisent fortement leurs dépenses de R&D. En effet, elles savent que les effets bénéfiques de cette décision (une réduction des coûts …) se manifestent immédiatement alors que ses effets néfastes (la détérioration de la capacité d’innovation …) mettent beaucoup plus de temps à se manifester.

Les entreprises ont également tendance à augmenter leurs dépenses de marketing (en notamment de promotion des ventes ...). En effet, elles savent que les effets bénéfiques de cette décision (une augmentation du chiffre d’affaires …) se matérialisent immédiatement alors que ses effets néfastes (la détérioration de l’image de marque par des promotions répétées) mettent beaucoup plus de temps à se manifester.

Notons que la réaction des entreprises dépend de leur taille et de l’intensité de la concurrence sur leur marché. Les grandes entreprises et celles qui sont implantées dans des secteurs peu concurrentiels parviennent mieux à résister à la pression des marchés. Même lorsque les attentes des investisseurs sont fortes, leurs dirigeants ne « touchent » pas forcément à leurs dépenses de R&D et de marketing. Les petites entreprises n’ont pas forcément ce luxe.

En bref, les marchés prennent souvent les décisions à la place des dirigeants ! Si les décisions prises par les marchés (comme la réduction des dépenses de R&D et l’augmentation des dépenses de marketing) ont un sens à court terme, elles sont beaucoup plus discutables dans une perspective de long terme …

Source : Chakravarty, A., & Grewal, R. (2011), “The stock market in the driver's seat! implications for R&D and marketing”, Management Science, 57, 1594-1609.