mercredi 24 mai 2017

Nokia : quand la pression et la peur tuent une entreprise




L'effondrement de Nokia dans la téléphonie mobile doit beaucoup à la pression et à la peur ...

Pour expliquer l’effondrement de Nokia dans la téléphonie mobile, on évoque souvent l’arrogance de l’entreprise finlandaise. Trop sûrs d’eux, les dirigeants de Nokia auraient sous-estimé la menace que représentait l’iPhone.

D’après une étude menée par Timo Vuori et Quy Huy, la réalité est un peu différente. Les dirigeants de Nokia étaient parfaitement conscients des menaces qui pesaient sur leur entreprise. Comme l’a raconté l’un d’entre eux : « Lorsque j’ai entendu parler de l’iPhone pour la première fois (à l’automne 2005), je me suis renseigné sur son système d’exploitation. Quand j’ai compris qu’il s’agissait d’iOS, j’en ai eu la chair de poule … Cela signifiait que l’iPhone serait une extension du Mac … » Plus que l’arrogance, il semble que la peur ait précipité la chute de Nokia …

Pour rattraper le retard par rapport à Apple, les dirigeants de Nokia ont mis une pression terrible sur leurs collaborateurs. Par peur de se faire licencier (ou simplement de perdre la face par rapport à leurs collègues), les managers se sont pliés à toutes les demandes des dirigeants … tout en sachant qu’ils ne parviendraient pas à y répondre. Comme l’a raconté l’un d’entre eux : « Je me souviens d’une réunion où on nous avait fixé une deadline délirante … J’ai voulu prendre la parole pour dire qu’il était impossible de tenir les délais mais la perspective de m’opposer aux dirigeants m’a fait paniquer. Finalement, je n’ai rien dit. » 

Comme les dirigeants de Nokia manquaient cruellement de compétences technologiques, ils n’ont pas vu que les managers ne leur disaient pas la vérité. Persuadés de toucher au but, ils ont accru la pression … et l’entreprise a fini par s’effondrer. En 2012, Microsoft absorbe une entreprise qui a perdu 90% de sa valeur boursière en six ans.

Quelles leçons peut-on tirer de cette histoire ? Essentiellement qu’il ne faut pas oublier le rôle joué par la peur dans les entreprises. La peur des dirigeants vient souvent de l’extérieur (intensité de la concurrence, pression des marchés financiers …). La peur des managers provient plutôt de l’intérieur de l’entreprise (dirigeants caractériels, sanctions lorsque les objectifs ne sont pas atteints …). On ne connait encore pas tous les détails sur l’affaire du « dieselgate » mais il est probable que les mécanismes à l’œuvre chez Nokia l’aient également été chez Volkswagen.

Source : Vuori, T., & Huy, Q. (2015), “Distributed attention and shared emotions in the innovation process: How Nokia lost the smartphone battle”, Administrative Science Quarterly, 61, 9-51.

mercredi 10 mai 2017

Les meilleurs entrepreneurs n'aiment pas le risque et n'ont pas confiance en eux !




Quelles sont les qualités des meilleurs entrepreneurs ? Aiment-ils le risque ? Ont-ils confiance en eux ?

On pense souvent qu’il faut avoir deux qualités pour être un bon entrepreneur : le goût du risque et la confiance en soi. Joseph Raffiee et Jie Feng ont analysé le parcours de 1.093 entrepreneurs américains. Les résultats de leur étude montrent ces deux « qualités » sont l’apanage des mauvais entrepreneurs. Les meilleurs entrepreneurs sont ceux qui rechignent à prendre des risques et qui n’ont pas confiance en eux !

Pour comprendre ce résultat surprenant, il faut distinguer deux types d’entrepreneurs : ceux qui quittent l’entreprise dans laquelle ils travaillent pour créer leur propre entreprise et ceux qui créent leur propre entreprise tout en continuant à travailler dans une autre entreprise. Aux Etats-Unis, 10% des entrepreneurs sont actuellement dans ce cas. On les appelle entrepreneurs « hybrides » (parce qu’ils sont à la fois salariés et entrepreneurs).

Par rapport à l’entrepreneuriat classique, l’entrepreneuriat hybride permet aux entrepreneurs en herbe des répondre à deux questions avant de véritablement se lancer : mon idée est-elle bonne ? Ai-je les compétences pour la mettre en œuvre ? Si les réponses à ces deux questions sont positives, il démissionne et se consacre pleinement à son projet. Si les résultats sont négatifs, il l’abandonne. In fine, cette technique permet de réduire d’un tiers la probabilité de faire faillite. Ce résultat est d’autant plus intéressant que les entrepreneurs « hybride » consacrent beaucoup moins de temps à leur entreprise que les entrepreneurs classiques !

Qui sont les entrepreneurs « hybrides » ? Comme on pouvait un peu s’y attendre, ce sont ceux qui rechignent le plus à prendre des risques et qui ont le moins confiance en eux. Ceux qui n’ont peur de rien et qui croient en leur bonne étoile n’hésitent pas à se lancer … mais les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous. On aboutit alors au paradoxe selon lequel les entrepreneurs qui connaissent les plus grands succès sont ceux qui aiment le moins le risque et qui ont le moins confiance en eux !

On sait depuis longtemps que de nombreux entrepreneurs à succès ont créé leur propre entreprise tout en continuant à travailler dans une autre entreprise. On cite souvent les exemples de Steve Jobs et de Steve Wozniak (les deux fondateurs d’Apple), de Pierre Omidyar (le fondateur d’eBay) et même d’Henry Ford (qui travaillait pour Edison lorsqu’il a créé son entreprise). Pourquoi ne pas les imiter ? Avec le développement des technologies de l’information, il est de plus en plus facile de tester une idée … tout en continuant à travailler dans une entreprise.

Source : Raffiee, J., & Feng, J. (2014), “Should I Quit My Day Job?: A hybrid path to entrepreneurship”, Academy of Management Journal, 57, 936-963.